Page d'accueil
 

 

recherche catalogue
 

Les titres par année de parution


L’Amour du loup et autres remords
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 224
Prix : 26 €
Date de parution : 2003
ISBN : 9782718606170




L’Amour du loup et autres remords

PRÉSENTATION

« Ma conscience me mord la langue avec tes dents

Les personnages rassemblés sous le toit de ce volume sont des animaux, (auxquels je suis alliée et affiliée en corps et en âme depuis l’origine de ma vie passionnelle) et les livres, ceux qui s’écrivent sous mon nom, m’appellent et me feintent. Des êtres vivants, mes proches les plus proches et cependant dérobés à ma loi ou mon désir, libres et incontrôlables. Naturellement, ils peuvent me griffer, me labourer la joue, le cœur, les yeux, ils sont armés pour ça. Une virtualité de blessure et de cruauté vibre entre nous. Mais quelque chose, une force supérieure renverse à la dernière seconde la violence en douceur. Pas avant la dernière seconde. Cette force qui veloute les pattes des félins et pacifie les guerres qui flamboient l’intimité, je l’appelle l’amour du loup. C’est-à-dire l’amour que j’ai du loup à cause de l’amour du loup pour l’agneau qu’il ne déchiquette pas à cause de l’amour de l’agneau pour le loup qui aurait pu le déchiqueter, le loup dont il a peur qu’il le déchiquette, ce qui peut arriver à tout moment car le loup ne se convertit pas mais il n’est pas impossible qu’il suspende sous le coup de l’amour son être-armé. Il n’y a amour que tremblant. Nous avons peur de ce loup qu’est notre chat, notre mère, notre livre, “notre” à qui nous sommes soumis et rendus par l’amour qui nous livre. Nous aimons le loup qui ne nous obéit pas, le livre qui ne nous obéit pas, le dieu qui nous répond si ça lui chante, ma mère qui me montre tous les jours les dents de la mortalité.
Ce livre évoque les forces vivantes qui nous tourmentent, nous divisent, nous écartèlent parce que nous leur en donnons le pouvoir. La peur aime. De l’amour vient le pouvoir de la peur. L’amour n’a pas peur de la peur qui est dans l’amour. L’amour tremble de tous ses membres. Il y a une jouissance et une cruauté dans ce combat de toi et moi en moi. Ce mélange de jouissance et de cruauté s’appelle sacrifice.
Les animaux, ma mère, mes poètes, mes enfants mes livres. Mes êtres d’incandescence. Mes créatures de rêve, mes créateurs de rêves. Je leur dois la vie. Comprenez-moi : je leur dois leur vie. Je leur dois mes vies. Chaque vie que chacun me donne à trembler. À perdre. À garder à perte de souffle.
Et autres remords : par eux, chat ou poète ou maman, mes livres mes enfants, me viennent les remords. Autrement dit la conscience, dont Joyce dans Ulysses poursuit ses personnages, petite érinye personnelle qui porte son nom ancien agenbite of inwit. L’automordillement de l’esprit dans son intimité. On ne prend pas conscience, on est pris par elle, elle nous mord, mais soyons précis : ma conscience me mord avec tes dents. C’est toi en moi, mon amour mon chat, qui me croque au sang et m’empêche de dormir. Et vice-verchat, bien entendu. Elle nous injecte le regret qui est un désir, et nous peuple d’angoisses qui sont nos fantômes vénérés.
Et pourquoi ces visiteurs redoutés de l’âme ? Qu’est-ce qui les cause ?
La culpabilité sans faute, pure et tordue.
C’est qu’à leur propos, à leur contact jaillit un soufre : l’inéluctable trahison. Je veux dire traduction. Nous qui vivons sous le même toit mais pas le même moi, nous nous parlons en langue étrangère. Je te parle dans ma langue et le français, un certain français. Tu me parles le chat, le tigre, le perroquet, l’allemand, un certain allemand, sans parler de la langue étrangère, née de ma langue, dans laquelle le livre tandis que je l’écris se retourne sur et contre moi et me remord. Il s’agit de la langue étrangère que tu m’adresses, que j’essaie de toutes mes forces de me traduire sans trop de travers ; certes nous nous comprenons au-delà de toute comprenance, nous nous “understand” d’une langue aux autres et c’est miracle, mais il reste le reste, la langue dans ma bouche n’est pas ta langue, je ne sais pas comment elle bouge dans ta bouche, et dans la mienne non plus quand ma langue bouge je ne sais pas comment, elle parle je la suis et ce n’est pas moi entièrement.
Et que dire du parler avec les animaux dont le langage n’est pas de (mes) mots ? Je l’entends mais je suis incapable de le reproduire. Comment trahir le moins possible ce traduire qui nous apparente et nous étrange si étroitement ? Et que dire du parler avec les mots, ces autres animaux, presque et pas tout à fait, qui nous séduisent, nous emballent et nous font rouler sur le côté de nous-mêmes.
Tous nos mots sont partagés ; tous nos mots sont remordus en deux et plus ; nous nous parlons en demi-mots qui sont des mots à secret, en quart de mots en huitièmes de mots, en mots, quoi, en soupirs. En silences. Nous pensons : qu’est-ce que tu penses ? Réponse en silence : je veux, je veux, je veux.
Le plus douloureux c’est qu’on ne sait pas de quel parti on est, on est partagé, je ne suis jamais du parti que je suis, suis-je de ton parti j’y suis en partie, le cœur de ton côté la tête de l’autre côté. Dans le combat entre mon chat et l’oiseau, suis-je du côté de mon chat je suis du côté de l’oiseau de l’autre côté si je suis du côté de l’oiseau je suis à moitié déchiquetée car je suis du côté de mon chat. Il n’y a pas de solution.
On ne sait pas ce que l’on souhaite. D’ailleurs à quoi bon souhaiter ? Tu feras à ta tête, n’est-ce pas ?
Comme la phrase dont parle Proust dans le Temps Retrouvé qui fait comme la bataille calculée par le général formé à l’art militaire selon Napoléon, et qui une fois déclenchée selon les ordres du chef va se dérouler en un tout autre sens que prévu mais toujours avec l’énergie qui triomphe. Comme le livre qui sitôt engendré mènera l’auteur où je ne sais pas ce qu’il adviendra, de lui, de nous. Comme le loup dont on attend trop facilement qu’il ne dévie jamais de sa lupicité. Alors qu’un loup peut nous surprendre par la douceur.
J’aurais voulu appeler ce volume L’Imitation de la Chatte. Mais il m’a changé d’avis.
Je dis tantôt chat tantôt chatte. Anatomiquement mes chats sont des chattes. Mais du point de vue du mot, de l’amour, de la vie et la mort c’est tantôt et selon.
J’écris ces lignes le 27 mars 2003. Des enfants crient dans la cour de l’école. Seuls les enfants crient dans notre société. Je suis pour le cri, dans tous les cas. Les chats aussi crient, on n’a qu’à les entendre. Les livres n’arrêtent pas de crier. Ma mère est un cri de victoire de la vie. Pendant ce temps on meurt et on remeurt en Irak. Des deux côtés et de tous les côtés. La même boue le même sable pour les Irakiens et les Américains.
D’Irak s’est levé le premier et le plus pur des héros épiques, Gilgamesh. Le premier (homme, animal, héros, âme-dieu) à s’être heurté, cogné la tête contre la mort. Alors il part à travers le monde dans l’intention d’aller tuer la mort. L’amour de l’autre, sa moitié morte, son mort, le mène. Le premier à s’être. Comment peut-on lutter contre la mort ? Avec la mort. Corps à corps. La terrasser ? À chaque mot, à chaque bond, elle est terrassée. Elle se relève. Comment s’être ?
Tous les textes qui se rapportent les uns aux autres dans ce volume et tous les êtres aimés de moi, à la langue râpeuse et la dent heureusement dure, courent leur vie en longeant la limite flottante qui sépare la vie de l’au-delà. L’au-delà est un mot remordu en deux. Moitié vie moitié                                                               


à plus tard.


Le trait d’union, là est la littérature. »
H. C.

© Éditions Galilée
Site édité avec le concours du Centre national du livre
www.culture.fr/

Un site SITEDIT