PRÉSENTATION
En 1984, les Cahiers de L’Herne m’invitèrent à organiser un numéro consacré à Maurice Blanchot. Parmi les raisons qui, avec Philippe Lacoue-Labarthe, nous poussèrent à vouloir réaliser ce projet, il y avait celle liée aux récentes publications concernant les positions politiques du Blanchot des années 1930
: nous voulions saisir l’occasion d’engager avec lui un échange sur cette question, afin de dépasser l’affrontement grossier des accusations et des défenses tel qu’il se jouait alors dans les magazines. À travers quelques échanges de lettres, Blanchot en vint à concevoir l’idée de rassembler des remarques éparses sous la forme d’un document – qu’il nomma « récit » dans une lettre à Roger Laporte, publiée ici – qui aurait en quelque sorte valeur de déclaration préliminaire à un entretien futur. Quel est l’enjeu de cette lettre ? Il est moins, à mon sens, dans ce qu’elle ouvre de vérité historique et psychologique (qui n’est certes pas négligeable) que dans le fait qu’elle oblige à nous demander comment, à partir d’où et selon quelles interrogations nous devons la lire.
Cette obligation est liée à celle qui a poussé Maurice Blanchot à écrire ce document assez singulier au milieu tant de sa correspondance que de son œuvre. En 1984, et devant une proposition de discussion autour de son passé politique dont il savait qu’elle n’était ni agressive ni soupçonneuse – bien qu’elle ne fût en rien complaisante –, il pouvait sentir et comprendre que s’offrait une autre disposition que celle des procureurs empressés. Il pouvait avoir confiance dans la possibilité d’une explication – ce qui n’est en rien équivalent à une justification. Il ne s’agit pas du tout de justifier ni même d’excuser les pensées et les déclarations de Blanchot. Il ne s’agit d’ignorer aucun aspect de ses convictions politiques ni de ce qu’elles ont pu impliquer d’engagement, fût-il seulement celui de la plume.
On s’exclame « il était d’extrême droite ! », voire « il était fasciste ! » et cela signifie : « il fallait être de gauche, il fallait être antifasciste ! ». On pense désigner ainsi une sorte d’évidence pérenne de la « gauche » qui se confond à peu près, en fait, avec la profession de foi des droits de l’homme et de la démocratie parlementaire – et cela d’autant mieux qu’il est devenu difficile de parler même de « socialisme ». Il est vrai qu’il n’en était pas ainsi il y a vingt-cinq ans. Mais il est non moins vrai qu’était sensible dès ces années la nécessité d’une interrogation de grande ampleur sur le sens de la (ou « du », comme nous disions justement pour mettre l’accent sur le problème d’un concept ou d’une essence) politique.
J.-L. Nancy